• La tempé-tueuse

    La tempé-tueuse

     

              La tempête fait rage. L’île donne l’impression de dériver sous la puissance des vagues qui s’écrasent sur ses rochers. Le manoir, au centre, me paraît toujours aussi majestueux et inébranlable, subissant la fureur des éléments avec bravoure et témérité.

    L'île ne m'a jamais semblé si belle qu'en cet instant.

    « Mais ça tombe plutôt mal », je grommelle en baissant la tête sous une nouvelle rafale. Nous ne pourrons partir que demain, au mieux. Maéva serait tellement déçue…

    Soudain maussade, je quitte le spectacle des yeux et entreprends de rentrer. Le vent me résiste, me repousse vers la plage, mais je tiens bon et je parviens enfin à ouvrir la porte de chez nous avant de la refermer avec hâte.

    « Alors ? »

    Maéva m’observe, les yeux brillants d’excitation. Ma gorge se serre. Cela fait plusieurs mois qu’elle espère ce week-end.

    « C’est impossible pour ce soir… On risque de s’écraser sur…

                – Très bien, me coupe-t-elle. J’ai compris. »

    Sa voix sèche me peine. Maéva a le don de faire culpabiliser les gens, mêmes innocents. Et je n’échappe malheureusement pas à cette règle. Ainsi, penaud, je m’approche d’elle, la serre contre moi et lui murmure tendrement ce qu’elle désire entendre :

    « Nous partirons demain, à la première heure. Promis. »

    Elle me sourit et embrasse ma joue.

    « Dans ce cas, allons dîner. Il ne faudra pas tarder à nous coucher. »

    Et avec son impatience de gamine à la veille de Noël, elle me tire par le bras. Je ne peux m’empêcher de la trouver adorable et un sourire m’échappe. Demain, l’île sera à nous.

     

    Le lendemain, le temps est plus calme, loin de la tempête de la veille. Nous contemplons un moment l’île, main dans la main, avant de monter dans la barque. Malgré le ciel gris qui la surplombe, elle nous paraît féérique. Un petit bout de paradis dans le Nord-Pas-de-Calais.

    La traversée est moins difficile que je ne le pensais. Quelques vagues font encore trembler la surface de l’eau avant de s’échouer sur l’île, sans pour autant nous gêner.

    Après une vingtaine de minutes, nous atteignons enfin la terre. Maéva descend en première tandis que je m’occupe d’attacher la barque. Aux anges, elle ne m’entend pas arriver et sursaute quand je serre sa taille contre moi.

    « Prête ? »

    Elle s’échappe de mon étreinte en riant et monte les escaliers deux par deux. Je souris, une fois encore, caressant distraitement l’écrin de velours que j’avais pris soin de glisser dans ma poche ce matin.

    La journée passe, rythmée par une promenade autour de l’île et un petit-déjeuner somptueux. Jamais nous n’avons été aussi heureux et, déjà, je redoute le départ.

    Le soir, nous nous allongeons dans le jardin du manoir afin d’observer les étoiles. La lumière de la pleine lune nous éclaire et j’en profite pour l’admirer du coin de l’œil. Elle ressemble à une déesse, sous la lueur du satellite.

    « Tu es parfaite… » je murmure, sans savoir si elle m’entend ni même si elle m’écoute.

                Elle se retourne vers moi et sourit : « Non, c’est cette île qui est parfaite. »

    Avant d’ajouter, dans un murmure: « Jamais je ne repartirai. »

    Je l’observe, interloqué et effrayé par la conviction dans sa voix:

    «Il le faudra bien...»

    Elle rit, une lueur de folie dans le regard:

    «  M’y forceras-tu ? »

                Je la fixe, désemparé. Est-elle vraiment sérieuse ?   

     

               Il est trois heures du matin quand Maéva me réveille, les traits tirés. Elle avait passé le début de la nuit à crier et pleurer dans son sommeil, sans que je ne sois capable de mettre fin à ses cauchemars. Puis, je m'étais endormi, enfin.

                « Je suis là, chérie. Que se passe-t-il ?»

    Elle ne me répond pas, tire sur mon t-shirt pour que je me lève et la suive.

    «Mais, que veux-tu faire à une heure pareille ?»

    Elle continue de m'ignorer et se dirige vers la porte. De plus en plus inquiet, je lui emboite le pas. Je ne peux me résigner à la laisser seule dans cet état.

    Dehors, le ciel est couvert et une petite brise me fait frissonner. L'atmosphère est très différente – froide et austère.

    J'attrape le poignet de Maéva pour la convaincre de faire demi-tour, mais elle se dégage violemment et poursuit son chemin, sans même se retourner. Elle s'approche des falaises, situées face à notre petit village, et m'attends, les poings sur les hanches.

         Je la rejoins, toujours aussi peu rassuré, espérant qu'elle m'explique enfin en quoi consiste cette promenade nocturne. Elle m'observe un instant, le regard hagard. Ma gorge se serre. Que lui arrive-t-il ?

    «Je reste ici, sur l’île.»

    Ses yeux sont fixés sur moi, guettant le moindre mouvement des muscles de mon visage, ma moindre réaction. Elle attend que je la défie, que je refuse. Ce que je suis obligé de faire.

                «C'est impossible, tu le sais bien...»

    Tendrement, je tends la main pour caresser son visage. Elle ne réagit pas, semblable à une statue de cire. Les secondes me paraissent durer une éternité. Jusqu'à ce que des larmes ne rencontrent mes doigts et que des sanglots ne se fassent entendre.

     Soudain plus confiant, attendri par cet excès de fragilité, je la prends dans mes bras.

    Evidemment, je ne vois pas son visage se transformer en un masque de rage et de haine, ni ses mains me repousser violemment, me projetant dans le vide. Une lueur rouge traverse ses yeux avant que je ne fende l’eau glacée de la mer.

     

    «Chéri... Réveille-toi, il est l'heure, l'île nous attend !»

    Maéva me surplombe, un sourire éblouissant sur le visage. A côté d'elle reposent nos deux valises, prêtes pour notre petit week-end. Je me redresse et lui souris faiblement, sous le choc.

    «Tout ceci n'était qu'un rêve...», je murmure.

    Elle m’observe en silence et il me semble apercevoir, l’espace d’un instant, une étrange lueur rouge dans son regard.

     

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  • Commentaires

    3
    Mercredi 29 Octobre 2014 à 22:33

    Merci beaucoup à vous deux :)

    2
    Mercredi 29 Octobre 2014 à 13:07

    Très belle histoire; Maëva : personnage troublant et fascinant, que j'ai étrangement l'impression de connaître... Bravo smile

    1
    Vendredi 3 Octobre 2014 à 21:54

    Intriguant *w*

    Très bien écrit et très attachant x)

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